Affaire soldats ivoiriens arrêtés au Mali : des voix s’élèvent

L’opposition et la société civile sortent de leur silence et critiquent la mauvaise gestion de l’affaire par les autorités ivoiriennes.

 

Dix jours après l’arrestation des 49 soldats ivoiriens au Mali, l’opposition et la société civile sortent de leur silence et critiquent la mauvaise gestion de l’affaire par les autorités ivoiriennes et lui demandent davantage de transparence dans cette affaire pour le moins confuse.

Hier matin, Katinan Koné, porte-parole du PPA-CI, le parti de Laurent Gbagbo, a demandé la plus grande transparence dans cette affaire et exigé l’ouverture d’une enquête parlementaire pour démêler le vrai du faux.

« Nous sommes gênés que nos soldats se retrouvent dans cette situation. Donc, nous demandons qu’ils retournent au pays, mais par la voie diplomatique, sans toutefois que cette venue cache ou empêche la recherche de la vérité sur ce qu’ils sont allés faire là-bas », dit-il.

Au même moment, l’Office ivoirien des droits de l’homme (OIDH) a estimé que les ministres devaient rendre des comptes à la population durant cette période de flottement.

« On le dit pour qu’une vérité unique soit dite et soit sue, devant des parlementaires qui sont mandatés par nous et qui vont questionner les ministres, le ministre de la Défense notamment et de l’Intérieur sur l’état de ces 49 Ivoiriens, qui sont des pères de famille. Dans quelles conditions sont-ils détenus ? On ne sait pas », pose Eric-Aimé Sémien, président de l’OIDH.

Opposition et société civile ont néanmoins salué la médiation en cours de la diplomatie togolaise pour libérer les soldats. Mardi, le président Ouattara s’est dit disposé à discuter avec le Mali.

Affaire 49 soldats ivoiriens arrêtés au Mali : pour l’ONU ils n’étaient de la Minusca

L’État-major des armées de Côte d’Ivoire a livré mercredi 13 juillet ses précisions sur la présence de ses 49 militaires interpellés à l’aéroport de Bamako dimanche.

 

L’armée ivoirienne insiste sur le fait que le contingent arrêté est bel et bien en mission officielle au Mali dans le cadre des opérations de la mission de maintien de la paix des Nations unies, la Minusma. Mais l’ONU a du mal à clarifier si ces déploiements qui ont commencé en 2019 ont une mission aussi claire qu’Abidjan ne l’affirme.

Dans un premier temps, les équipes de l’ONU, tant à New York qu’à Bamako, ont corroboré la version ivoirienne. Mais après recoupement, de nouvelles informations ont permis de dévoiler que les soldats ivoiriens n’étaient pas considérés comme des éléments nationaux de soutien (NSE) par les Nations unies, et pour l’organisation, il s’agissait avant tout d’une affaire bilatérale, rapportent notre correspondante au siège des Nations unies à New York, Carrie Nooten, et notre journaliste au service Afrique, David Baché.

Cela a été confirmé par Fahran Faq, porte-parole des Nations unies : « Les troupes ivoiriennes n’appartiennent pas aux forces de la Minusma. Une requête de la Côte d’Ivoire, pour déployer des éléments nationaux de soutien a été approuvée en 2019. Cependant, aucune troupe n’a été déployée sous cette convention depuis ce moment-là. Nous encourageons vivement les deux pays à travailler ensemble pour résoudre la situation et permettre la libération des troupes détenues. »

En clair, Abidjan a bien signé une convention en 2019 avec l’ONU pour pouvoir déployer ses soutiens logistiques. Mais si des soldats ont été envoyés à Bamako ces trois dernières années, cela n’a pas été organisé dans le cadre de cette convention : au final, ils n’étaient donc juridiquement, légalement, et administrativement pas considérés comme des NSE.

S’agit-il d’un simple cafouillage administratif, d’une erreur de formalisation ? La faute incombe-t-elle à l’armée ivoirienne ou aux équipes onusiennes ? Des questions restent en suspens

Abdijan insiste que les 49 militaires font partie des NSE avec mandat de l’ONU

Malgré ces informations, l’État-major ivoirien répète que le contingent des 49 militaires fait bien partie des éléments nationaux de soutien (NSE) et qu’il était donc légitime, comme l’avait initialement confirmé le porte-parole de la Minusma au lendemain de leur arrestation, rapporte notre correspondant à Abidjan, Sidy Yansané.

La haute hiérarchie militaire rappelle que sept de ces NSE se sont succédé par le passé sans le moindre problème. C’est pourquoi le colonel Guézoa Mahi Armand, conseiller aux Opérations extérieures du chef d’État-major général des armées, récuse l’accusation de « mercenariat » lancée par les autorités maliennes :

« Le MOU signé avec l’ONU nous autorise à détenir des armes, pour nous protéger et protéger les installations qui nous abritent, et je vous rappelle quand même qu’il s’agit des terroristes au Mali. Le transport de ce matériel a été effectué conformément à la réglementation, soit un avion pour le personnel et un autre pour les armements et munitions. Ils n’ont donc pas débarqué avec des armes en mains, et, habillés en uniformes, ils n’ont nullement caché leur identité. Toute cette polémique ne devrait donc pas avoir lieu. »

Le haut-gradé explique également que ses éléments n’ont pu être enregistrés dans les fichiers de la Minusma, car ils ont été interpellés dès leur atterrissage à l’aéroport de Bamako, les empêchant ainsi d’effectuer les formalités administratives habituelles.

La classe politique malienne pro et contre la junte appelle à l’apaisement

Si l’incompréhension générale se poursuit, dû aux versions radicalement différentes, et si Abidjan demande la libération « sans délai » de ses militaires, Bamako a annoncé vouloir les traduire en justice. Devant la délicatesse de la situation, les personnalités politiques maliennes plaident dans l’ensemble pour l’apaisement et la diplomatie.

Un cadre d’une organisation favorable aux autorités de transition maliennes estime que les Ivoiriens sont en faute et qu’« il est temps que certains chefs d’État arrêtent de déstabiliser la sous-région au profit de puissances occidentales », a-t-il dit en faisant référence au président ivoirien Alassane Ouattara et à la France, respectivement.

Un autre cadre politique pro-junte estime que la « confusion » entourant l’arrivée des 49 soldats ivoiriens est une « faute grave » d’Abidjan, mais plaide pour qu’ils ne soient finalement pas jugés. « Seule la voie diplomatique » peut, selon lui, permettre de sortir d’une situation « très risquée », pouvant même aboutir « à une confrontation militaire ».

Un ancien ministre opposé aux autorités de transition actuelles partage la peur des armes. Sauf que lui craint que Bamako n’enflamme le conflit pour flatter l’orgueil national, quitte à faire « exploser le pays ».

Silence du côté de la société civile

Plusieurs autres chefs de partis et anciens ministres pointent les « manquements » d’Abidjan, mais ne croient pas du tout en une tentative de déstabilisation. Ils rappellent que les deux pays ont des relations économiques importantes et que deux millions de Maliens vivent en Côte d’ivoire.

Pour eux, l’agressivité affichée par Bamako est une « maladresse » voire une « fuite en avant ». Ils prônent « le dialogue » et « la diplomatie », dans l’intérêt des Maliens, et notent le silence d’organisations de la société civile : selon eux, celles-ci sont habituellement promptes à encenser les coups d’éclat des autorités. « L’essentiel est ailleurs, conclut un ancien ministre, et surtout à l’intérieur du pays. »

Ivoirco : 49 soldats ivoiriens accusés d’être des « mercenaires » à Bamako

Les autorités ivoiriennes ont demandé mardi 12 juillet au Mali de libérer « sans délai, les militaires ivoiriens injustement arrêtés ».

 

Bamako accuse 49 soldats de la Côte d’Ivoire d’être des « mercenaires » venus déstabiliser la transition. Abidjan de son côté dément fermement ces accusations. C’est dans un communiqué que, le Conseil de sécurité ivoirien dément point par point les accusations faites par les autorités maliennes au sujet des 49 militaires arrêtés dimanches 10 juillet à l’aéroport de Bamako. Il affirme que tout est en ordre pour l’arrivée du contingent.

Avant la réunion du Conseil de sécurité, le silence de l’État ivoirien commençait à interpeler, 48 heures après les arrestations et 24 heures après l’intervention télévisée du colonel Abdoulaye Maïga, porte-parole de la junte malienne. Il y expliquait alors que les soldats avaient dissimulé leur profession, qu’ils étaient entrés sur le territoire sans ordre de mission et les désignait comme « des mercenaires », dont le dessin funeste était de briser la dynamique de refondation et de sécurisation du Mali, rapporte notre correspondant à Abidjan, Youenn Gourlay.

D’abord, Abidjan confirme que ces hommes se trouvent au Mali dans le cadre des opérations de la Minusma, la mission de maintien de la paix des Nations unies. Ils apportent leur soutien au contingent d’un pays contributeur – en l’occurrence l’Allemagne – pour les opérations des « éléments nationaux de soutien » (NSE). Tout cela dans un système de sous-traitance complexe : le contingent allemand utilise les infrastructures d’une société privée, Sahel Aviation Service (SAS), qui elle-même loue les services des soldats ivoiriens pour la sécurité de ses entrepôts.

Ainsi, sept contingents ivoiriens se sont succédé à l’aéroport de Bamako depuis la signature en juillet 2019 d’« une convention » avec les Nations unies, rappelle le communiqué. Celui-ci aurait été le huitième.

D’autre part, le Conseil de sécurité ivoirien confirme que l’ordre de mission du contingent a été transmis aux autorités aéroportuaires maliennes. « Le ministère des Affaires étrangères et le chef d’état-major malien en ont reçu copie », affirme-t-il. Enfin, Abidjan assure que ses hommes n’étaient pas armés à leur arrivée, car « les armes se trouvaient dans un autre avion ».

Malgré cet incident, les autorités ivoiriennes assurent qu’elles « continueront d’œuvrer pour le maintien d’un climat de paix entre la Côte d’Ivoire et le Mali » et appellent également les populations à la retenue.