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Les Sud-Soudanais, traumatisés par les massacres, sceptiques sur les chances de paix

Derrière la clôture barbelée qu'elle a peur de quitter, placée sous protection armée dans son propre pays, Jenty John Musa…

Derrière la clôture barbelée qu’elle a peur de quitter, placée sous protection armée dans son propre pays, Jenty John Musa entend dire que la paix serait sur le point d’arriver au Soudan du Sud.

« On entend à la radio: +Il y a la paix, il y a la paix+. Mais on n’en est pas sûr », raconte Jenty à l’AFP à Wau (nord-ouest), où comme des milliers d’autres, elle a trouvé refuge dans un camp protégé par l’ONU, après avoir fui les violences.

« Qu’ils viennent vers nous et nous montrent que maintenant il y a la paix », dit-elle à l’intention des dirigeants sud-soudanais, qui n’arrivent pas à s’accorder sur l’avenir de leur pays.

Après une multitude de trêves rompues et de promesses non tenues, la méfiance est profondément enracinée dans le plus jeune pays au monde, plongé dans la guerre civile depuis décembre 2013, deux ans après son indépendance du Soudan.

La pression internationale s’accroît sur le président Salva Kiir et son ancien vice-président Riek Machar pour qu’ils forment un gouvernement d’union nationale avant la date-butoir du 22 février.

Ces deux rivaux de longue date ont signé en septembre 2018 à Addis Abeba un accord de paix destiné à mettre fin à une guerre civile qui a fait plus de 380.000 morts et provoqué une crise humanitaire catastrophique.

Mais la prudence reste de mise alors que MM. Kiir et Machar ont échoué à respecter deux précédentes échéances pour la formation de ce gouvernement, considéré comme une étape cruciale vers la paix.

Les deux dirigeants ont maintes fois montré par le passé qu’ils n’avaient aucun scrupule à enfreindre un accord. Leurs deux précédentes tentatives pour gouverner ensemble se sont achevées dans un bain de sang.

Cette fois-ci, ils se sont engagés à créer une armée nationale unifiée. Mais cette promesse ne s’est pas encore matérialisée. Des négociations à n’en plus finir n’ont pas encore permis d’ouvrir la voie à l’unité du pays.

– Dérobades perpétuelles –

Les combats avaient diminué après la signature de l’accord de paix. Mais les violences sont à nouveau en hausse à l’approche du 22 février.

La question centrale du nombre d’États régionaux n’a pas été résolue. La rébellion a rejeté dimanche la proposition du président Kiir de revenir à un système fédéral de 10 États, au lieu de 32, plus trois « zones administratives » (Ruweng, Pibor et Abyei).

M. Machar a décliné ce qui était perçu comme une concession du chef de l’Etat, favorable jusque-là aux 32 Etats, car il s’oppose à la décision de faire de Ruweng, une région essentielle pour la production de pétrole, une « zone administrative ».

A Wau, on n’est que trop habitué à ces dérobades perpétuelles. Quand le précédent gouvernement « d’union » a implosé en 2016 à Juba, les combats ont éclaté dans la capitale, avant de s’étendre à Wau, où les habitants se sont massacrés, communauté contre communauté.

« Je ne peux pas oublier ce que j’ai vu. C’est toujours dangereux là, dehors », explique Jawahier Khelifa, une mère de quatre enfants.

Comme des milliers de personnes prises au piège, elle s’était précipitée vers la base de l’ONU, située juste en dehors de la ville de Wau, pour y trouver de l’aide.

Trois ans plus tard, ils sont encore des milliers à vivre en extérieur sous des tentes, trop apeurés pour se risquer hors du camp.

Près de 190.000 personnes vivent sous protection de l’ONU dans de tels camps au Soudan du Sud. Malgré les promesses venant de Juba que la paix est à portée de main, ils refusent toujours d’en partir.

Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), la crainte que le processus de paix n’échoue à nouveau est le principal facteur qui dissuade les gens de rentrer chez eux.

– « Scepticisme toujours de mise » –

Juleta Edward, 55 ans, a regardé ses enfants grandir dans l’univers surpeuplé, presque carcéral, de Wau. Mais à ses yeux, l’essentiel est qu’ils soient sains et saufs.

Elle se montre extrêmement dubitative sur le processus de paix et n’a pas mis un pied hors du camp depuis juin 2016, quand elle avait fui la ville après avoir assisté à la mort de membres de sa famille.

« Je veux voir si la paix est réelle (ou pas) et ensuite je pourrai quitter cet endroit », dit-elle.

« L’expérience est le meilleur professeur qui soit », remarque Sam Muhumure, chef du bureau de la mission de paix des Nations unies au Soudan du Sud (Minus) à Wau.

« C’est pour cela qu’ils regardent avec attention chaque mesure que les dirigeants politiques prennent. Il y a eu un bon progrès (…), mais le scepticisme est toujours de mise », dit-il.

Avec l’accord de paix, la sécurité s’est améliorée à Wau. Mais sans avancée politique, tout peut être remis en cause du jour au lendemain.

« Les bénéfices de la paix, pour le moment, sont maigres », juge James Reynolds, chef de la délégation du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) au Soudan du Sud.

A Wau, les gens veulent voir des actes et non se contenter de paroles de la part de dirigeants qui n’ont cessé d’abuser de leur confiance.

« Beaucoup de gens sont morts. Nous voulons que nos leaders se concentrent sur leur peuple et lui donne ce qu’il souhaite », résume Juleta. « Nous voulons qu’ils servent le peuple ».