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Embarrassée, l’Ethiopie ne sait comment honorer les morts du vol ET302

Gebru Ketema était dehors, affairé avec son bétail, quand le vol ET302 d'Ethiopian Airlines s'est abattu dans un champ proche…

Gebru Ketema était dehors, affairé avec son bétail, quand le vol ET302 d’Ethiopian Airlines s’est abattu dans un champ proche de son village. Les 157 personnes à bord sont mortes dans le crash.

Les jours suivants ont été frénétiques, les sauveteurs affluant sur place. Gebru et ses voisins les ont accueillis dans leur maison, partageant avec eux leur repas mais aussi leur « peine », se rappelle-t-il.

Un an plus tard, le site de l’accident est entouré par une clôture en bois inachevée et ne voit plus guère de visiteurs, en dehors de quelques proches de défunts venus apporter des fleurs.

« Cet endroit est devenu célèbre à cause de l’accident. On nous a dit qu’ils allaient installer une sorte de monument ici, mais ça n’a pas l’air d’avancer beaucoup », commente Gebru.

A quelques jours du premier anniversaire du crash mardi, Ethiopian Airlines a donné peu d’indications sur ce qu’elle entend faire du site.

En janvier, elle espérait encore utiliser cet anniversaire pour annoncer le vainqueur d’un concours d’architecture pour un monument du souvenir, selon un document préliminaire consulté par l’AFP.

Mais la compagnie semble avoir suspendu, au moins provisoirement, ce projet, des familles de victimes ayant exprimé leur incompréhension face à ce qu’elles jugeaient être une décision précipitée, explique Zekarias Asfaw, qui a perdu son frère dans la catastrophe.

Le désaccord portait sur la question de savoir si Ethiopian Airlines était déterminée à honorer les morts de manière respectueuse, ajoute Zekarias, qui fait partie d’un comité destiné à discuter de ce mémorial.

« Vous vous précipitez parce que vous n’y accordez aucune valeur », a-t-il dénoncé en évoquant la compagnie aérienne, qui n’a pas souhaité répondre aux questions de l’AFP.

« Vous avez une compagnie qui désespère de passer à autre chose, et vous avez des familles qui disent: +Non, nous n’avons même pas eu l’opportunité de nous rassembler et de commencer ce parcours du souvenir », souligne-t-il.

– « Manque de compassion » –

Les familles avaient aussi d’autres reproches à adresser à ce plan. Elles ont fait observer que le document parlait exclusivement d' »hommes et femmes », alors même que des enfants étaient aussi parmi les passagers.

Plus généralement, le document, qui en plusieurs endroits utilisait Wikipédia comme source sur des aspects connus du drame, était bâclé et absolument pas professionnel, selon Zekarias.

« En tant qu’Éthiopien, je suis embarrassé de voir comment tout cela a été géré », dit-il. « La manque de professionnalisme, le manque de compassion… ».

En l’absence d’un site officiel du souvenir, deux autres emplacements ont été aménagés à Addis Abeba depuis un an pour honorer la mémoire des victimes du vol ET302.

Au siège national de l’association des pilotes de ligne éthiopiens, un terrain de football a été rebaptisé du nom du capitaine du vol ET302 et grand amateur de ballon rond, Yared Getachew.

Une plaque en sa mémoire est accrochée sur un mur à côté du terrain.

De l’autre côté de la ville, la cathédrale de la sainte Trinité accueille un autre monument commémoratif en mémoire de Yared et de 16 autres victimes éthiopiennes – les autres victimes étaient de nombreuses nationalités, dont notamment des Kenyans et des Canadiens.

Des plaques comportent deux photos pour chaque victime avec un logo d’Ethiopian Airlines en noir et blanc.

Dans cette cathédrale reposent d’importants dignitaires éthiopiens, comme l’empereur Haïle Sélassié ou l’ancien Premier ministre Meles Zenawi.

– La tristesse ressentie –

Il était donc approprié que les victimes du vol ET302 soient aussi honorées ici, estime le père Hadis Abab Tsegazeab.

« Elles sont ici parce qu’Ethiopian Airlines est la première compagnie d’Afrique et parce que sa contribution à la Nation n’est pas négligeable », précise-t-il.

Les victimes sont aussi honorées de manière privée, y compris par des gens qui n’avaient aucun lien personnel avec elles.

Yared Getachew, un avocat d’Addis Abeba, se souvient de la tristesse qu’il a ressentie quand il a appris l’accident, suivie de sa surprise quand il a su qu’il portait le même nom que le capitaine du vol.

Bien qu’il n’ait connu aucun des passagers, il a décidé d’assister à un service commémoratif à la cathédrale de la sainte Trinité dans les jours qui ont suivi pour « transmettre (ses) condoléances ».

Depuis, lui et son fils de 12 ans, Isaac, ont instauré un petit rituel pour se remémorer les morts chaque fois qu’ils prennent l’avion.

Avant le crash, Isaac, un passionné d’aviation, passait chaque décollage à raconter à son père dans le détail tout ce qui se passait: ce que les pilotes faisaient, ou comment fonctionnaient les ailerons des ailes, par exemple.

Désormais, après le décollage, Yared et Isaac lancent la minuterie de leur téléphone et se recueillent en silence pendant six minutes: le temps séparant le décollage du vol ET302 de l’aéroport d’Addis Abeba et son crash.

« Nous essayons très calmement d’imaginer ce qu’ils ont subi », dit Yared en parlant des victimes.

« Combien ça a dû être difficile pour ceux qui étaient à l’intérieur de l’avion (…). Même la moindre turbulence quand vous êtes dans un avion est extrêmement effrayante. Alors pendant six minutes après le décollage, nous essayons de nous souvenir de toutes ces victimes ».