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Au Kazakhstan, lumière inattendue sur les Dounganes après des violences

Khousseï Daourov était presque inconscient quand il a senti l'acier froid d'un pistolet sur sa tempe, après avoir été pris…

Khousseï Daourov était presque inconscient quand il a senti l’acier froid d’un pistolet sur sa tempe, après avoir été pris dans les violences inter-ethniques le week-end dernier dans le sud du Kazakhstan.

Ces affrontements entre la majorité kazakhe et une minorité musulmane d’origine chinoise, les Dounganes, ont fait onze morts, des dizaines de blessés et provoqué la fuite de plusieurs milliers de personnes au Kirghizstan voisin. En majorité, il s’agissait de Dounganes, qui sont 150.000 à travers l’Asie centrale.

Leader communautaire local, M. Daourov essayait d’apaiser les tensions quand un Kazakh lui a braqué un pistolet sur le visage. C’est un autre Kazakh qui est intervenu, convaincant le premier de le laisser partir.

Les yeux mouillés de larmes, une écharpe soutenant son bras cassé dans les heurts, l’homme d’une soixantaine d’années est réticent à blâmer ses « frères » kazakhs pour ce déchaînement de violence. « Ce ne sont pas les Kazakhs qui ont fait cela à notre peuple », assure-t-il. « C’étaient des bandits, des tueurs à gages ».

Il ne s’attendait pas à ce que, dans la nuit du 7 février, des centaines de Kazakhs prennent d’assaut le village à majorité doungane de Massantchi, environ 130 kilomètres à l’ouest d’Almaty, capitale économique du pays. Ces affrontements sanglants mettent en lumière les tensions latentes de cette région multi-ethnique.

Pour les Dounganes, la vie en Asie centrale s’avère pourtant calme par rapport aux répressions qui les ont fait fuir la Chine impériale au 19ème siècle. Installé à cheval sur les frontières kirghize et kazakhe, ce peuple revendique un héritage à la fois chinois et arabe et travaille principalement dans l’agriculture ou le petit commerce.

Leur dialecte, mélange de chinois et de farsi, les singularise dans une région dominée par les langues turciques, sans pour autant empêcher leur intégration.

– Conflit « impensable » –

Pour Batyrbek Toreïev, un fonctionnaire vivant dans le village de Karakemer, le raid soudain sur Massantchi était même « impensable »: « Nos familles sont amies avec leurs familles. On s’arrête les uns chez les autres », s’étonne-t-il, ajoutant que « ce qui est arrivée est arrivé, il faut continuer à vivre désormais ».

En Chine, les Dounganes sont connus sous le nom de Hui. Comme d’autres, ce groupe ethnique de dix millions de personnes est victime de la répression visant les musulmans dans l’ouest de la Chine.

Mais au Kirghizstan et au Kazakhstan aussi, certains ne cachent pas leur ressentiment, accusant les Dounganes de profiter de leur héritage culturel et linguistique commun pour commercer avantageusement avec la Chine.

En 2013, des dizaines de camionneurs dounganes auraient été passés à tabac par des chauffeurs kirghiz à un poste-frontière avec la Chine, où ils se disputaient des marchandises à ramener en Asie centrale. Et au début des années 2000, des maisons dounganes avaient été brûlées après un conflit avec des villageois kirghiz.

A l’époque, les Dounganes avaient trouvé refuge au Kazakhstan. Cette fois-ci, ce sont tous les groupes ethniques du Kirghizstan qui méritent un « énorme merci » pour avoir fourni nourriture, aide et logement aux Dounganes en fuite, affirme Khousseï Daourov.

Les traces d’affrontements n’ont pas complètement disparues à Massantchi mais l’Etat kazakh, qui a toujours vanté l’harmonie d’un pays où, selon le ministère des Affaires étrangères, « plus de 100 groupes ethniques vivent en paix », tente de rétablir un semblant de normalité.

Dans une mosquée, de vieux Dounganes partagent du riz avec des policiers d’ethnie kazakhe. Dans cette petite ville, la présence accrue des forces de l’ordre depuis les affrontements a été bien accueillie, assure-t-on.

– Colère palpable –

Ailleurs, des employés de l’administration régionale enlèvent les débris noircis de ce qu’il reste du plus grand supermarché de Massantchi. Parmi ces travailleurs, le ressentiment est palpable.

« Ils ont tabassé un de nos anciens », dit l’un d’eux, Ermek Saparov. Cet incident, deux jours avant les affrontements, aurait contribué à alimenter les appels à la violence, notamment sur les réseaux sociaux et les services de messagerie.

Son collègue Oulan Achirbek admet avoir été tenté de répondre aux appels à la vengeance mais avait du travail vendredi soir. Sa colère n’est pas retombée: « Vous voyez, c’était un magasin doungane mais ce sont les Kazakhs qui font tout le nettoyage ».

Un autre sujet alimentant le ressentiment envers les Doungane, et que l’AFP a vu circuler largement à travers les services de messagerie, est d’ordre linguistique: selon ces messages, les Dounganes privilégieraient les langues russe ou doungane à la langue kazakhe dans leur vie quotidienne.

Malik Iassyrov, un Doungane de 24 ans tué par balle, était pourtant professeur de kazakh dans un collège du village proche de Sortobe. « C’était un patriote. Il est allé à Massantchi défendre ses concitoyens », dénonce Aïche Gadir, sa mère, lors d’une cérémonie organisée à leur domicile pour les proches du jeune homme.

Toute la nuit, Malik Iassyrov était resté en contact avec sa mère. Il décrivait les scènes de meurtre et de pillage, suppliant sa mère d’emmener ses deux enfants au Kirghizstan. Vers une heure du matin, son téléphone s’est éteint. Ce n’est que le lendemain matin que Mme Gadir a appris la mort de son fils.

« Cela fait 150 ans que nous sommes ici. Pourquoi Allah nous punit ainsi? », demande-t-elle: « Comment pouvons-nous passer à autre chose? »