Les sources d’approvisionnement peuvent tout aussi être des marchés noirs et des réseaux de trafics locaux.C’est une question que tout le monde se pose. D’où provient l’arsenal des groupes armés jihadistes en Afrique de l’Ouest?
Dans une enquête très fouillée rendue publique ces jours-ci, l’Ong Conflict armement research (CAR) a tenté de trouver des réponses à travers le cas du sud-est du Niger.
L’enquête qui a porté sur 160 armes et plus de 6000 munitions saisies dans la région de Diffa et 20 armes récupérées dans les régions de Diffa, Maradi et Zinder identifiées, indexe « les réserves d’armement des Etats de la région et le matériel détenu par les forces de sécurité opérant dans les zones qui jouxtent le Lac Tchad » comme une « source significative, bien qu’involontaire, d’armes et de munitions pour les militants affiliés au JAS (Jama’atu Ahlu Sunna li Dahwati wal Jihad appelé Boko Haram) et l’Etat islamique en Afrique occidentale (EIAO) ».
Boko Haram est un groupe jihadiste fondé en 2002 par Mohamed Yusuf à Maiduguri, capitale de l’Etat de Borno, dans le nord-est du Nigeria. C’est à partir de 2009 que l’organisation a pris le nom de Jama’atu Ahslu Sunna li dahwati wal Jihad ou Jas, sous l’impulsion d’Abubakar Shekau. Le groupe fait allégeance à l’Etat islamique en 2015 et devient sa « province » en Afrique occidentale (PEIAO). Mais en aout 2016, l’Etat islamique central destitue Shekau et nomme Abu Musab al Barnawi comme nouveau gouverneur. Depuis, ces deux factions sont en guerre ouverte, occasionnant plusieurs morts d’un côté comme de l’autre. C’est au cours de ce conflit fratricide que Shekau est mort, en mai 2021 dans son fief de la forêt de Sambisa.
La grande majorité des 185 armes récupérés auprès des jihadistes de ces deux groupes et documentées par CAR entre 2016 et 2019 sont des fusils d’assaut de calibre 7,62x39mm.
CAR indique qu’« au moins, 32 des armes documentées (17% de l’échantillon) ont été détournées des arsenaux nationaux de trois Etats: le Niger, le Nigeria et le Tchad » alors que « plus d’un cinquième (23 pour cent) des munitions documentées proviennent des stocks du Nigeria ».
Le mode d’approvisionnement des groupes jihadistes qui sévissent dans le sud-est du Niger est aussi scruté. Les résultats montrent que « les combattants affiliés au JAS et à l’EIAO semblent avoir acquis une proportion importante de leur armement de manière opportuniste et directement dans les théâtres où ils opèrent, notamment à l’issue d’attaques contre les forces militaires et de sécurité déployées dans la région du Lac Tchad, en particulier entre 2013 et 2019 ».
Cependant, CAR précise qu’« une proportion inférieure du matériel documenté a initialement été détournée à partir de sources d’approvisionnement situées à des milliers de kilomètres du Niger, tel que l’arsenal rwandais.
Par ailleurs, la découverte d’une arme fabriquée en Bulgarie en 2015 et exportée la même année au ministère de la Défense nigérian fait dire aux auteurs que des armes et des munitions ont été fabriquées après 2010.
Dans le même sillage, CAR soutient que « les trois quarts des munitions de l’échantillon ont été produits dans les décennies 1990 et 2010 » et révèle que « 1958 munitions de calibre 7,62×51, ont été produites en chine en 2012 ».
Les sources d’approvisionnement peuvent tout aussi être des marchés noirs et des réseaux de trafics locaux. CAR a étudié le cas d’un fusil à pompe de fabrication turque étant de la même marque que plusieurs milliers de fusils saisis au Nigeria en 2017 après avoir été clandestinement acheminés depuis la Turquie.
Des similitudes ont été décelées entre certaines armes saisies à Diffa et « l’équipement saisi auprès de combattants d’Al Qaida au Maghreb Islamique et leurs affiliés en Afrique de l’Ouest », soulignant que « les divers groupes peuvent partager les mêmes mécanismes d’approvisionnement, voir connaitre des transfuges de militants et d’équipements ».
L’autre découverte importante de CAR est liée à l’origine africaine de certaines armes documentées. Selon l’étude, 79 armes, soit 43% de l’échantillon, ont été fabriquées en Afrique (Afrique du Sud, Algérie et Egypte) ou ont été exportées vers un pays d’Afrique de l’Ouest ou du Nord (Libye, Maroc, Niger, Nigeria, Tchad ». « Cela indique possiblement qu’une proportion significative du matériel en circulation illicite au Sahel puisse être attribuée à la production et aux activités militaires africaines », analyse CAR.